UNION NATIONALE DES ECRIVAINS DE FRANCE

LETTRE OUVERTE AU MINISTRE DE LA CULTURE

Christine Albanel

NON AU CHOC DES CULTURES A VERSAILLES !
         NON AUX « SACRILEGES » DU PATRIMOINE FRANÇAIS !
                  NON A LA CONTREFACON DES ŒUVRES DE L’ESPRIT !

 

Paris, ce 16 juillet 2008

Madame le Ministre,

Au nom de la Coordination de défense de Versailles, des valeurs les plus sacrées de notre patrimoine et de notre identité, comme du respect de la morale publique, de la loi et du Code de la propriété intellectuelle, nous vous demandons de faire cesser immédiatement le scandale marketing de l’exposition « Jeff Koons Versailles » qui doit être interdite sans délai. Loin l’éloigner l’angoisse, comme il le prétend, Koons la provoque !

De toutes parts, en l’absence totale de relais institutionnel, ce n’est qu’un cri d’indignation et de colère pour demander que cesse, enfin, le scandale de l’exposition « Jeff Koons Versailles », présentée par la presse comme « une première historique » devant faire de cet artiste – ayant été longtemps trader à wall street avant de se lancer dans l’art « en tant que vecteur privilégié de merchandising » et ex-mari de l’actrice porno Ilona Anna Staller, dite Cicciolina – « le Roi-Soleil de Versailles » « jusqu’au 14 décembre ».

L’arrogance d’une telle opération marketing est ressentie par tant et tant de Français comme une véritable souillure de ce que notre patrimoine et notre identité ont de plus sacré, en partage avec tous les Européens, depuis le XVIIIème siècle, et avec tous les admirateurs et donateurs du monde entier.

C’est pourquoi, au titre de ses statuts, du Code de la Propriété intellectuelle et de votre Mission de tutelle, l’Union Nationale des Ecrivains de France vous demande de faire cesser au plus vite le scandale et le trouble public manifeste que constitue ce projet d’exposition, n’hésitant pas à vandaliser les appartements royaux, pris comme piédestal d’un art balloon-spéculatif au profit narcissique de son mécène-investisseur principal et au détriment du rayonnement d’excellence de l’art et de l’artisanat français.

Si la France est le pays le plus visité au monde, c’est en raison de son inestimable patrimoine historique, scientifique, spirituel, littéraire et artistique. Assurément, dans sa cohérence – politique, religieuse, artisanale et  de promotion économique – le château de Versailles est l’œuvre architecturale mémorable UNIQUE la plus belle et universellement reconnue, depuis trois siècles, comme le summum de l’art classique français voire de l’art absolu.

Nul ne saurait nier que le château de Versailles et ses jardins sont une œuvre de l’esprit (Art. L. 112-2, 7° du CPI), que Louis XIV est l’auteur incontesté de cette œuvre sans pareille et que, comme tel, il bénéficie des droits attachés à la défense des œuvres de l’esprit, à la propriété incorporelle, définie à l’article L. 111-1, « qui est indépendante de la propriété de l’objet matériel » (Art. L. 111-3). D’où il résulte pour l’acquéreur ou le détenteur, en l’espèce l’Etat, le devoir de respecter ou de faire respecter l’œuvre, sa représentation et sa divulgation.

Il est non moins certain qu’est un outrage à l’œuvre de Louis XIV le fait d’organiser une telle exposition spéculative dans le château et tout spécialement dans le « saint des saints » des appartements royaux, pris comme vitrine promotionnelle, en n’hésitant pas à y exposer des objets dit « sulfureux » tel qu’un homard à l’américaine « surdimensionné » ; avec un « miroir d’acier poli » (de Moon) dans la galerie des Glaces ; avec « un bouquet de fleurs en bois polychrome » dans la chambre de la Reine ; avec son portrait en acier de Louis XIV dans la chambre du roi ; avec son auto-portrait en marbre dans le salon d’Apollon ; avec des objets Kitch tel un « Bear and Policeman », au milieu de jouets géants et images BD dans le salon de la Guerre ; avec en prime des objets dits surréalistes tel que « Hoover Convertible », seule pièce des collections publiques françaises – avec un nom anglais en prime –, dans l’antichambre du Grand Couvert[1]. Au vu d’une telle liste, il est bien évident que cette exposition s’analyse juridiquement comme un « abus notoire de divulgation » à sanctionner par l’Etat, voire comme une contrefaçon, si l’on en croit la Cour de cassation[2].

L’exposition Jeff-Koons étant une œuvre de l’esprit, sa divulgation comme toute photographie publiée (du homard à l’américaine dans les appartements royaux, par exemple) sont justiciables du Code de la Propriété Intellectuelle. Au titre de l’article L 113-2, le procédé consistant à incorporer « une œuvre nouvelle » (celle Jeff Koons) à « une œuvre préexistante » (celle de Louis XIV) sans la collaboration de celui-ci est une « œuvre composite ». Et, au titre de l’article L 113-4, « l’œuvre composite » est la propriété de l’auteur qui l’a réalisé, sous réserve de l’accord de l’auteur de l’œuvre préexistante », c’est à dire de Louis XIV ou de ses ayants droits...

Juridiquement, le droit et le devoir de défendre l’œuvre de l’esprit sont exercés par les descendants, les héritiers et, au titre de l’article. L. 121.3, en cas d’abus notoire, par le Ministre chargé de la culture. A cet égard nous nous étonnons tous du procédé décisionnel de cette exposition donnant satisfaction au trio d’un mécène-spéculateur, d’un artiste à bulle spéculative et d’un ancien Ministre de la République ayant été conseiller du premier et Directeur du Palazzo Grassi à Venise.

La nouvelle position de la Cour de cassation rend compte de la multiplication des atteintes aux œuvres de l’esprit. Et c’est bien une telle violence faite à l’œuvre de Louis XIV, dont tous les Français et tant d’étrangers se considèrent comme les héritiers, qui leur fait ressentir cette contre-représentation de notre art classique comme une véritable contrefaçon de nos valeurs d’excellence, de cohérence, d’art de vivre et d’harmonie à la française.

Alors, pourquoi MM. Pinault, Aillagon et Koons n’organisent-ils pas leur exposition au musée d’art contemporain, à Beaubourg ou à la Défense, dans son cadre architectural « naturel », sinon parce qu’ils savent que l’art-gadget Koons, y passerait totalement inaperçu ? En vérité, il n’y aurait nulle bulle spéculative à attendre sans l’effet d’annonce du dit « choc des cultures », de ce néo-vandalisme spéculatif dont le ressort sadique joue de l’angoisse résultant du sacrilège du beau et du patrimoine français, au détriment du rayonnement de la France, de la promotion de son savoir-faire et du luxe français, dont le Comité Colbert et notre économie (notamment touristique) ont tant besoin, dans le contexte de déliquescence de la décision, politique, culturelle et économique, dont l’exposition Koons est justement l’illustration. Quel scandale que d’imposer aux touristes ayant rendez-vous avec Louis XIV, modèle d’une politique culturelle au service de la France, de se trouver nez-nez avec sa marionnette l’apprenti roi-soleil Koons, véritable « contre modèle » d’une politique cynique d’instrumentalisation de la France et de son patrimoine au profit d’un petit nombre de nantis ou de spéculateurs !

Il n’est pas concevable qu’un petit nombre de spéculateurs joue, dans cette galerie des glaces où furent proclamés l’Empire allemand et le Kaiser Guillaume 1er, à consacrer un « roi-soleil » de dérision ridiculisant ce que nous avons de plus sacré, nos valeurs d’excellence constituant un des rares « consensus » persistant au nom de cette admiration du beau et de perfection qui ne saurait se commander. A chacun son lieu d’élection. Ne cesse-t-on pas de se lamenter sur la perte des repères ? Versailles doit rester ce sanctuaire étranger au « choc des cultures » que voudrait importer chez nous ceux qui n’ont rien d’admirable à proposer de leur propre fond.

Dans cet esprit de valeur partagée, vous comprendrez qu’avant d’envisager tout autre moyen statutaire, nous nous adressions d’abord à vous qui avez présidé l’Etablissement public du musée et du domaine national de Versailles, pour vous demander de faire réviser l’autorisation de cette exposition – qui constitue un véritable « meurtre » de notre patrimoine artistique que vous avez mission de protéger ; qui viole le respect dû à notre l’art et aux œuvres de l’esprit ; qui outrage tous les Français de cœur ou de nationalité – et qui à ce titre doit être interdite comme attentatoire à la foi en la décision publique rendue « au nom du peuple français » et à nos valeurs les plus sacrées.

Dans cette attente – dans cet esprit d’appel à la Résistance culturelle répondant à cette guerre ouverte, à Versailles, contre l’Intelligence, l’Art et les Œuvres de l’esprit –, nous vous prions d’agréer, Madame le Ministre, l’assurance de nos sentiments distingués.

Pierre CHARIE-MARSAINES

Arnaud-Aaron UPINSKY

Président d’honneur, Commandeur de la Légion d’Honneur

Président

 



[1] « Choc des cultures à Versailles », « Un artiste sulfureux chez le roi soleil » et « Jeff Koons : « Je ne veux pas jouer l’agent provocateur »,  Valérie Duponchelle et Valérie Sasportas, Le Figaro, 19 juin 2008.

[2] Il est notable que la chambre criminelle de la Cour de cassation ait considéré que la violation du droit moral pouvait suffire à établir l’existence d’un délit pénal de contrefaçon en articulant les articles L. 335-3 et L. 122-2 du CPI, le délit de contrefaçon étant défini comme « la reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyens que ce soit, d’une œuvre de l’esprit en violation des droits d’auteurs définis et réglementés par la loi ». Dans son arrêt du 3 septembre 2002, la Cour vient de qualifier de contrefaisante la modification de sculptures faites sans autorisation de leur auteur, en se fondant sur l’atteinte à la représentation des œuvres en cause.